La vie c'est long #33

Publié le par L. Eliot

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On était à la veille de Noël, ou peut-être plus vraiment, mais je me souviens de la neige, ce qui n’est pas possible, car il n’y a plus de neige. Je traînais dans une chambre que je n’avais jamais vu. Des objets pourtant me rappelaient ma mère. Ce soir-là, j’avais fait dans un seau familier. Et puis personne n’était venu, c’était resté là à l’abri de l’extérieur. Je crois qu’à l’époque déjà, je ne marchais plus. Un petit peu, comme des ongles continuent de pousser quand on est sous la terre. Je faisais quelques pas pour rire, mais sans autre intention. Mes souvenirs restent vagues, comme les personnes qui défilèrent à mon chevet. Quelqu’un m’avait donné un livre sur les trains, chemins de fer, une personne odieuse, paraît-il. Une femme avec une moustache, par exemple, et un chemisier tacheté. Un complet élimé. Tchouf tchouf le livre, mais j’avais bien trop tôt le sentiment de n’être rien. Les bruits du couloir, s’il y en avait un, ne venaient pas jusqu’à moi. Un couloir aux murs de velours, paraît-il, au plancher tapissé, aux néons blafards. Un sacré mélange, à en douter. Une femme devait passer, à moustache paraît-il, me souhaiter les fêtes. De bonnes. J’avais demandé une radio. Je voulais des chants de Noël, car à mon souvenir, Noël s’en venait à coup de Praetorius. Mais je ne voulais rien. J’avais fermé les fenêtres, et il n’y avait même pas de rue. Une cour intérieure, un bruit de soufflerie, une neige qui ne part plus, qui monte au nez, pas de route. Pas de trottoir, pas de café. Ça n’avait aucune importance. Mais qui venait, et avec quel moyen de locomotion. Et pour voir quoi, espérer quelque chose de moi ? Mon ex-femme, si j’en avais eu une ? Ma fille, mais m’en souviendrai-je ? J’étais trop jeune, j’étais trop vieux. Il faisait froid, trop pour être nostalgique. Vilain mot, erreur grossière, j’étais au bout d’une histoire, au finissement d’une étape, d’une carrière, d’une autre vie. Au début d’une autre vie, mais je ne sais plus qui me donnait à manger, car je ne me souviens pas avoir jamais eu faim. Soif par contre, mais une soif essentielle. La seule qui vaille la peine, peut-être. Là où est le commencement, justement. Une soif tordante, déchirante, liquéfiante. Une soif lourde, déglutinante, qui donne mal aux yeux. Ça, je l’ai conté aux quatre murs, au plafond, au seau aux draps lampe lange papier tapis plein peint pin pain. À délirer, crier ma mère, supplier DIEU, donne moi de l’eau je m’assèche, fais couler de la moelle pour la tête. Rumeurs, scandales, vomissements, explosions polluantes, je ne veux pas tout savoir. Je ne voulais pas consommer, ni de cadeau ni d’effluves. Je n’avais rien demandé, me semble-t-il, et ce qu’il en reste, finalement, n’est qu’un questionnement auquel la magie ou le bistouri n’apportent pas de réponse. Mais surtout je ne veux pas savoir. C’était un peu avant Noël, il y a bien et si longtemps, quand la neige encore tombait du ciel, pour autant qu'il m'en souvienne, qu’il m’en souvienne. Une chambre, un seul corps (le mien), une soif inextinguible, un monde insatiable, une envie de mort et pas de télévision, et puis plus d’envie du tout. Meme la soif.

Publié dans Telegraph Hill

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A
Je suis passée du côté de ceux qui trouvent la vie trop courte, pour toujours j'espère. Je m'interdis dorénavant certaines lectures, certaines compositions musicales voire certaines oeuvres picturales pour rester de ce côté-là. Ton texte pourrait être de ces enfermements à proscrire à jamais. La faute au talent!
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F
bien des choses à toi....<br /> tu sais demain mon blog aura un an et j'ai verifié c'est bien toi qui m'as mis mon premier commentaire je sais pas si ça se fait mais je tiens à te remercier pour cela et aussi pour tout le palisir que j'ai eu et que j'aurais à te lire<br /> tilk
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C
Le temps déferle l'ami...j'espère que tout est au mieux là-bas dans le grand froid...en tout cas , plein de bonnes choses pour toi et Marie-Eve dans votre cabane nord-américaine en ce tout début d'année...prends bien soin de toi! Wil
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A
Comme le monde est vaste à s'en perdre quand l'angoisse saisit l'esseulé.<br /> Comme le monde est vaste à s'y répandre quand la curiosité habite le voyageur<br /> Comme le monde est vaste à l'inventer quand la couleur habite le peintre<br /> Comme le monde est vaste à le conter quand les mots<br /> s'écoulent du conteur...<br /> mes voeux depuis loin
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D
heureuse année leonard à la lisière des mondes<br /> que le grand nord te soit doux<br /> que la vie dure et dure longtemps encore<br /> comme dit la chanson qui parle du sud<br /> mais c'est selon<br /> <br /> tous mes voeux
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